Poèmes jaunes
1.
Printemps Blow up
A chacune de nos campagnes
Je vous ai vus courir et vous former en houles
pour résister assauts
sous le vent lacrymo
Je vous ai vus devenir une foule
une armée de cyclopes
Mobile et souple
Je vous ai vus serrés comme les blés
Je vous ai vus tanguer sous les rafales
Je vous ai vus vomir
Vos faces de soleil tournées au sol sous les cuissardes
vos faces
fauves
ouvertes en deux par le frémir de liberté
et l'essaim de votre désir
tournoyant au dessus d'eux
Au bout du Champ
la liberté en joue
tendue comme un arc
explose aux pieds des gardes
Certains ont vu dans le brouillard
votre triomphe proche
et la folie du monde vous abattre d'un coup.
Il y a toujours des loups au bout du champ pour tirer sur l'honneur.
2.
Mai en embuscade
Ils ont tendu les pièges
Dans la ville labyrinthe :
Ils vous attendent entre les buis de vos impasses
Ils vous pendront aux branches des feux rouges
avec leurs foulards rances.
Et leur petite haine domestique qui sourd sous les feuilles des places
- leur petite haine de ruelle -
vous la savez de loin avec sa ritournelle
et son parfum d'urine.
3.
Petites floraisons crépusculaires
À Juan Branco
Fleurs de Banksy
Arborées comme un coeur pulsatile
Sur tous les murs du son
Fleurs graffées
Griffant les rues de nos villes
Jaune révolution
Bombes de mots sur tous les murs des cons
Attentat langagier
Contre la laideur en chantier
Fleurs rageuses grand ouvertes
Sur les tôles-tamtam de lutte
Palpant les battements du coeur
Fleurs de Banksy
Au pistil d'insolence
Sur le fronton des banques
Et tout à coup fleurissent au loin les grappes d'armures
Des hommes sont sur nous qui voient en nous des chiens
Ils frappent au hasard et fauchent la beauté
Ils poussent parmi nous comme ronces perfides
- Cris étranglés au bord du masque
Larmes toxiques au bord du casque -
Ils ne lâcheront pas leurs maîtres
Ils sont la solitude démultipliée
Du monde qui meurt
Sous leur carcasse on cherche encore le bourgeon de l'âme
Et soudain les grenades sont mûres
et je dis FLEURS !
- fleurs d'artifices
pulvérisées en fusées de sang -
Délicates fleurs de chair
Juste au coin de nos larmes
Efflorescences d'orbites
Eclats d'arcades
Pivoines de tendons
Rhizomes de nerfs
soufflés comme aigrettes de pissenlits
dans le printemps qui va
Et je dis FLEURS !
Dans les champs sur les champs
Germent les dents de lion
Ici nous avons tous des noms vernaculaires
Ici aucune inflorescence ne capitule
Bouquets de poings tendus vers le ciel.
4.
Le poète est un boxeur gitan
A Christophe Dettinger
Quand ce qui n'existe pas
Est filmé en direct par des centaines de caméras
Quand les jeunes filles en fleur sont énucléées
Par les chiens de garde aux abois
d'un pouvoir enragé
Quand la démocratie
cathédrale en feu
s'enveloppe de brouillards
de mensonges lacrymogènes
Quand le pouvoir fait résonner des orgues de grand messe
et que sur l'autel fumant de nos corps mutilés
S'invite l'imposture des bourreaux de la vérité
Reprenons notre langue
maltraitée et tordue
nous avons besoin de scribes de penseurs de tribuns de poètes
Car ici
l'état de droit des assassins
Enferme et mutile
organise la prostitution de la langue
par des poupées télécommandées
éructant l'absurde et l'obscénité
sur nos écrans
Car ici
Les grands industriels incestueux violent la planète en réunion
et parlent au peuple
comme à un enfant soumis
Qui prendra soin de la vérité,
troussée comme une fille de joie
par les organes de propagande ?
Qui remettra les mots à l'endroit,
Qui soignera le langage
du mensonge en bande organisée
le dégèlera
lui lavera le corps
des coups de leurs matraques
Qui
le guérira des logiciels
des logorrhées
des logos avariés
et de la langue perfide des communicants ?
Il faudra être poète pour être légitime
Dire le vrai pour nous sauver de la laideur
Et il faudra retrouver nos mots de boxeur
boxeur gitan
Mots bandés poings fermés
Car ici
Vos idiots sont nos prophètes,
ils parlent la langue de demain.